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Auteurs Messages

Salus
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Messages : 6900


Posté à 15h43 le 18 Feb 17




Glose N° 19


Où le siècle, en trouvant Saussure à son pied,
Voit, poésie, une œuvre signifiée
Par l'heur de l'inconscience déviée,
Devancer la science, à qui le vers sied.



La « COMPAGNIE DIDACTIQUE INTER-ACTIVE »

Dans le cadre subjectif et large du symposium perpétuel, présente :

« Le Symbolisme »


- « Peindre non la chose mais l’effet qu’elle produit. » (Mallarmé)

Au mi-temps du 19 ème siècle apparaît, en réaction à l’immobilisme littéraire des Romantiques, la froide objectivité agressive des Parnassiens, et la muflerie docte du naturalisme, en réponse aux attentes inconscientes des entités surréalistes qui flottent à la surface des mots, une école poétique qui sacre Verlaine comme son représentant absolu, mais que pour ma part, je ne reconnais vraiment pure que dans l’œuvre de Stéphane Mallarmé, qui en explore les moindres recoins, en exploite toutes les possibilités, et excelle dans les maniements subtils de la forme sublime, quand Verlaine exerce et exacerbe une musicalité trouble, promenant le génie de son art entre les arcanes des affects et de sagaces considérations, parfois imperceptibles, fruits sonores plus dus à l’étude poétique de l’âme humaine, dans toutes les facettes diamantées de son cristal ambigu, qu’à la recherche technique et ésotérique du sens dans les méandres labyrinthiques du symbole.

Moi, hein, ce que j’en dis…

Extrait du « Manifeste », publié dans « le Figaro » (supplément littéraire, 1886), Par le poète Jean Moréas, qui aura au moins fait ça de bon : (J’exagère, sans être génial, Moréas était fort acceptable poète, ses mânes et ses admirateurs me pardonnent ! – d’ailleurs, ci-après, en voilà un bon cru !)

« […] Ennemie de l’enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d’une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l’Idée, demeurerait sujette. L’Idée, à son tour, ne doit point se laisser voir privée des somptueuses simarres* des analogies extérieures ; car le caractère essentiel de l’art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu’à la conception de l’Idée en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les actions des humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester eux-mêmes ; ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec des Idées primordiales. […] »

(*simarre, robe d’apparat)

Un, donc, texte dudit :


Les morts m'écoutent seuls ... (Jean Moréas 1856 /1910)


Les morts m'écoutent seuls, j'habite les tombeaux.
Jusqu'au bout je serai l'ennemi de moi-même.
Ma gloire est aux ingrats, mon grain est aux corbeaux,
Sans récolter jamais je laboure et je sème.

Je ne me plaindrai pas. Qu'importe l'Aquilon,
L'opprobre et le mépris, la face de l'injure !
Puisque quand je te touche, ô lyre d'Apollon,
Tu sonnes chaque fois plus savante et plus pure ?


Pas mal ? - pas mal !
Mais observons ce sonnet mallarméen, qui décrit un toast, porté à la poésie et aux poètes, ( les bulles du champagne seraient sirènes, vues à travers le geste…)



SALUT


Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.



Voilà, c’est ça, le symbolisme ! L’esprit chavire…

Écoutons maintenant Verlaine, autre immense génie, que je classerais plutôt dans un registre moins asexué, plus psycho-affectif, bref, et sans tenir compte de la distance, amusée ou cynique, dont son intelligence et sa maturité font preuve, une poésie moins symbolique qu’émotionnelle :


Les ingénus


Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.

Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.

Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.


Paul Verlaine, Fêtes galantes

C’est torve, sensuel, magnifique !

(remarquez l’utilisation savante du rejet, dans l’enjambement « trop souvent / interceptés » : le sens du mot corrobore l’enjambement ! – l’effet visuel est parfait !

Si l’on peut deviner quelque influence de bon goût chez Verlaine (ici, Baudelaire),
Mallarmé semble s’être accouché tout seul, pour son propre compte ! C’est faux, bien évidemment, Baudelaire, surtout, hante aussi les vers du Maître du symbolisme, mais on peut penser que Gautier et Banville lui furent importants.

Contrairement à ce que son aura austère et son soi-disant hermétisme peuvent laisser penser, j’ai la conviction que Mallarmé était joueur ; et qu’il a développé une forme d’humour d’une subtilité et d’une esthétique magistrale !
Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les « Vers de circonstance », qui sont une multitude de petits chefs-d’œuvre (presque tous des quatrains) parfois d’une drôlerie et d’une finesse époustouflantes ! - Par exemple, il écrivait des lettres où figurait, sous cette forme versifiée, ce genre d’adresse sur l’enveloppe :

Je te lance mon pied vers l'aine
Facteur, si tu ne vas où c'est
Que rêve mon ami Verlaine
Ru' Didot. Hôpital Broussais.

Vous noterez, ce qui est chez lui une rareté, des prises désinvoltes de liberté dans l’apocope du « e » de « rue », lequel, sinon, ne serait pas élidable, et devrait se prononcer, et la rime « où c’est / Broussais » qui est fausse, comme est infantilisée la syntaxe (où c’est que rêve)
Mais quel message, à son ami malade (de l’absinthe ?) !

Ou encore :

Courez tous, facteurs, demandez
Afin qu’il foule ma pelouse,
Monsieur François Coppée, un des
Quarante, rue Oudinot, douze.



Et aussi :


Paris — chez Madame Mery
Laurent qui vit loin des profanes
Dans sa maisonnette, very
Select, du neuf boulevard Lannes.

(pour l’anecdote, Mallarmé était prof d'anglais, et cette langue, c'est peut-être la seule fois qu'il l’utilisa à la rime !)

J'aurais adoré, facteur, tomber sur des adresses pareilles :

Prends la canne à bec de corbin,
Vieille poste ou je vais t’en battre,
Et cours chez le docteur Robin
Rue ? oui, de Saint-Pétersbourg, quatre.

Les Vers de Circonstance contiennent plus de cent vingt de ces adresses en vers, que toujours la poste sut acheminer.

Un des plus purs traits d’humour de ce précurseur du surréalisme raffiné dort dans un de ses poèmes les mieux connus,
C’est : « L’Azur », (1863)
Poème énorme, hors des domaines vagissants de la critique et de l’analyse, vous savez bien : « De l'éternel azur la sereine ironie… »

Dans le quatrième quatrain, on lit :

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t'en venant la vase et les pâles roseaux
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

…Et ces oiseaux qui s’acharnent à faire des trous (Dans l’azur ?), me semblent, dans ce chef d’œuvre d’évocation et d’élégance rigoureuse et désespérée, un humour décalé d’une stupéfiante intelligence ; Mallarmé, comme plus tard Paul Valéry, qui lui doit beaucoup, Mallarmé transcende tout élitisme et toute pédanterie ; et flirte avec les dieux, au moins ceux du langage…

Excellent poète symboliste, plus classique, est aussi Albert Samain, dont je vous passe le délicieux "Hermaphrodite",


Avant d’aller cultiver en Morphée
Le rêve torve et le songe pervers
Dont la malice, enroulée à ma fée,
Me fait subir toujours joie et revers :

(Attention, le poème ci-dessous est diabolique, et celui qui l’a inventé s’en est maudit !)


· Albert SAMAIN (1858-1900)


L'Hermaphrodite


Vers l'archipel limpide, où se mirent les Iles,
L'Hermaphrodite nu, le front ceint de jasmin,
Epuise ses yeux verts en un rêve sans fin ;
Et sa souplesse torse empruntée aux reptiles,

Sa cambrure élastique, et ses seins érectiles
Suscitent le désir de l'impossible hymen.
Et c'est le monstre éclos, exquis et surhumain,
Au ciel supérieur des formes plus subtiles.

La perversité rôde en ses courts cheveux blonds.
Un sourire éternel, frère des soirs profonds,
S'estompe en velours d'ombre à sa bouche ambiguë ;

Et sur ses pâles chairs se traîne avec amour
L'ardent soleil païen, qui l'a fait naître un jour
De ton écume d'or, ô Beauté suraiguë.




A plus,
Salus







Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 16h17 le 18 Feb 17

Merci Salus pour tout ce savoir communiqué, bonne journée!
Suis fan de ces partages instruits!


Sylvain2023
Membre
Messages : 892


Posté à 16h39 le 18 Feb 17

Bonjour,

J'aimerais bien que tu puisses te téléporter et t'avoir devant moi pour t'écouter m'apprendre parce que je lis ce que tu écris mais je suis sûr que je comprendrais mieux si tu me disais ce que tu écris :)


Sylvain2023
Membre
Messages : 892


Posté à 17h15 le 18 Feb 17

c'est un compliment hein.... cool


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 17h21 le 18 Feb 17


J'aime, Aurore, que tu me suives
Dans les méandres compliqués
De phrases approximatives
Cachant de rigoureux acquêts !


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 17h26 le 18 Feb 17


Nous boirions, cher Sylvain,
Quelques verres ensemble...
(D'y penser, ma main tremble !)
- hors, si tout était vain ?


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 19h44 le 18 Feb 17

Cher Salus, tu devrais demander à Eric ou à Lasource,' si mes souvenire sont bons, on doit pouvoir le faire en tant que modérateur )de mettre toutes tes gloses en tête de gondole, si j'ose dire, dans Textes longs et ce coin te serait dédié


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 20h20 le 18 Feb 17

Amie Marcek :

Je te comprends mal, et ça ressemble à un privilège ; pourquoi y aurais-je droit ?


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 20h25 le 18 Feb 17

Ami Salus, je reconnais bien là ta modestie, mais c'est par commodité : ces "cours "de poésie sont fort utiles et il serait dommage qu'ils se perdissent dans l'immensité des posts ! N'y vois pas là un privilège, Lasource a mis en exergue un poème en poésie classique pour nous faire découvrir une poétesse ! Toi tu nous fais découvrir des analyses fort instructives !


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 22h32 le 18 Feb 17


D'accord, mais il ne faut pas que ça vienne de moi !
Tenterais-tu de t’entremettre, voire d’intercéder ?


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 22h35 le 18 Feb 17

Tu ferais de moi une entremetteuse ? Fi !
Eh bien, cher ami; j'y consens pour la gloire de la poésie !


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 22h43 le 18 Feb 17

Je me suis jetée au pieds du chef, implorant sa clémence...attendons le verdict ! Mdr


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 00h58 le 19 Feb 17

Opération "Sauvetage " menée à bien ! Coucou


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 18h43 le 19 Feb 17


Bravo ! Et merci...

Mais des gloses, il y en a 27 !
Espérons que notre Eric international continue à les classer (ou dois-je les poster ailleurs ?)
Bah ! Nous verrons bien.


Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 18h49 le 19 Feb 17

Je suis en attente de bonnes nouvelles à ce sujet , cela en vaut la peine!

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