Salus
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Posté à 15h34 le 16 Feb 17
Glose N° 17
Tournant autour du pot parnassien
La rime se pavane et se traîne !
Une attitude savante ou reine,
Parmi le trouble d'un charme ancien...
Dix-septième épisode (j’ai compté !) de nos
« CONCILIABULES TEXTUELS ET VERSIFICATOIRES »
Nous finîmes notre dernière glose sur l'immense Gautier (Le Capitaine Fracasse), et puisque nous sommes en plein Parnasse, nous pouvons aborder Leconte de Lisle, qui, avec son nom à coucher dehors, dormait pourtant dedans, était pauvre, « socialiste »
(fouriériste), abolitionniste (contre l’esclavage), et pourtant né du coté de l’île Maurice, pleine de nègres pas chers et de jolies asservies…
Bref, un type intelligent, peut-être sympathique, mais je digresse…
Il écrit une poésie ronflante, savante, impersonnelle, un parangon de la mouvance parnassienne !
Situons déjà le Parnasse (dictionnaire CNTRL) :
A : [Par Référence au nom du lieu consacré à Apollon et aux muses] Lieu symbolique
. de la poésie.
B : Le Parnasse. Mouvement littéraire français de la deuxième moitié du 19e siècle qui, en réaction contre le romantisme et influencé par le positivisme, publia une poésie très
intellectuelle dans la revue le Parnasse contemporain. Cet «ésotérisme» qui se trouve à l'origine du Naturalisme, du Parnasse et du Symbolisme (Valéry)
Exemple – Quatrains de Leconte de Lisle (Charles Marie) 1818-1894, respectivement, "Le baiser supême" et "La Fatalité"
(Sur un groupe du Statuaire E. Christophe.) :
Heureux qui, possédant la Chimère éternelle,
Livre au Monstre divin un cœur ensanglanté,
Et savoure, pour mieux s'anéantir en elle,
L'extase de la mort et de la volupté
Dans l'éclair d'un baiser qui vaut l'éternité !
°°°°°°°°°°°
L'épée en main, le pied sur la roue immortelle,
Douce à l'homme futur, terrible au dieu dompté,
Elle vole, les yeux dardés droit devant elle,
Dans sa grâce, sa force et sa sérénité !
…Quelques autres vers du maître (Je ne résiste pas au plaisir vengeur de vous passer cet
assassin sonnet) :
Aux modernes
Vous vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,
Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,
Châtrés dès le berceau par le siècle assassin
De toute passion vigoureuse et profonde.
Votre cervelle est vide autant que votre sein,
Et vous avez souillé ce misérable monde
D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,
Que la mort germe seule en cette boue immonde.
Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin
Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,
Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,
Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,
Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,
Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.
Les Parnassiens sont des gens très sérieux, qui réfutent le romantisme, condamnent tout nombrilisme (on ne se met pas en scène), prônent une rigueur savante et écrivent de superbes poèmes !
José Maria de Heredia (1842-1905), qui a ciselé 118 sonnets d’une excellence rare (Les Trophées), est un autre exemple de ce que la stricte observance de la règle peut obtenir, quand elle est servie avec autant d’ardeur que d’intelligence poétique ; ce monsieur, né cubain, et de nationalité espagnole avant de se faire naturaliser français, maîtrisa notre langue jusqu’à la maestria ; avant de le lire, écoutons Anatole france décrire sa littérature
(extrait) :
JOSÉ-MARIA DE HEREDIA est né le 22 novembre 1842 dans les montagnes de la Sierra Madre, proche Santiago de Cuba. Il a été élevé en France, au collège de Saint-Vincent, à Senlis, par de bons prêtres, excellents humanistes. Après un court séjour à l’Université de la Havane, il revint à Paris et suivit les cours de l’École des Chartes. Les études paléographiques développèrent en lui ce goût de l’exactitude et de la méthode qu’il devait plus tard concilier très heureusement avec le sentiment de la poésie et de l’art.
Il se lia bientôt avec Leconte de Lisle, et entra dans le groupe des poètes dits Parnassiens, où il se fit remarquer par l’éclatante plénitude de son style. Nul ne poussa aussi loin que lui le souci de la perfection plastique. (...)
Voici, de ce monsieur, un impeccable sonnet français :
Brise marine
L'hiver a défleuri la lande et le courtil.
Tout est mort. Sur la roche uniformément grise
Où la lame sans fin de l'Atlantique brise,
Le pétale fané pend au dernier pistil.
Et pourtant je ne sais quel arôme subtil
Exhalé de la mer jusqu'à moi par la brise,
D'un effluve si tiède emplit mon coeur qu'il grise ;
Ce souffle étrangement parfumé, d'où vient-il ?
Ah ! Je le reconnais. C'est de trois mille lieues
Qu'il vient, de l'Ouest, là-bas où les Antilles bleues
Se pâment sous l'ardeur de l'astre occidental ;
Et j'ai, de ce récif battu du flot kymrique,
Respiré dans le vent qu'embauma l'air natal
La fleur jadis éclose au jardin d'Amérique.
Il faut aussi évoquer Banville, espèce de "chaînon manquant" entre le romantisme, qu’il défend et pratique, et le monde du Parnasse, dont il est l’un des précurseurs.
Rappelons aussi qu’il fut un des maîtres de Rimbaud, ce qui n’empêchera pas ce dernier d’écrire, contre lui, ce génial et goguenard poème :
« Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs » dans lequel, Banville, nommément cité, est ouvertement taxé, lui qui faisait, de la dérive douceâtre et fade du romantisme, justement son cheval de bataille, de
« mièvrerie littéraire historique » (la formule est mienne, les
lettres d’insultes sont à adresser au journal).
Enfin, Banville était un immense poète, qui préconisa notamment l’emploi systématique de la consonne d’appui (« consonne » rime mieux avec « résonne » qu’avec « détonne »), eut des débuts difficiles, avant de faire autorité, fut réfuté par ce jean-foutre fat de Vigny (à la mémoire de qui je dois attester d’une puissante et parfaite écriture), et par bien d’autres pédants qui lui reprochaient une trop grande liberté (!), et de chanter les filles légères et l’ivresse des nues et du vin, plutôt que la sévère et édifiante étude des arpèges de la Bible, ainsi qu’il sied aux abnégations pieuses d’une jeunesse à la rigueur morale irréprochable…
Écoutons plutôt Baudelaire, qui aimait le bon vin, la cuisse, et avait du nez :
A Théodore de
Banville
1842
Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet, qu'on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,
Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.
L’oeil clair et plein du feu de la précocité,
Vous avez prélassé votre orgueil d'architecte
Dans des constructions dont l'audace correcte
Fait voir quelle sera votre maturité.
Poète, notre sang nous fuit par chaque pore;
Est-ce que par hasard la robe du Centaure,.
Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau,
Était teinte trois fois dans les baves subtiles
De ces vindicatifs et monstrueux reptiles
Que le petit Hercule étranglait au berceau?
Extrait, maintenant, d’une pièce de Banville
(Je crois que c’est « Le Forgeron »)
- Discours de Vulcain à Vénus :
Alors dans le feu pur sous mes mains sont écloses
Mystérieusement les oeuvres et les choses.
Je les achève sous le jour de l’atelier ;
Je soumets l’ornement au rhythme régulier :
Avec tous les outils, esclaves de mon zèle,
Je repousse l’airain, je lime, je cisèle,
Je grave, curieux, ardent, inassouvi,
Seul avec mon cerveau plein d’images, servi
Par des figures d’or que j’ai faites moi-même.
Le métal fulgurant chante comme un poëme :
Il est devenu lyre où dort un chant divin.
(l’orthographe est d‘époque)
Et, très différent, un extrait d’une première version d’un poème que l’auteur remaniera :
(Volupté, dans « Le songe d’hiver » version 1842)
Coupe ! Sein ! lyre !
Triple délire
Où ne peut lire
L’oeil d’Israël !
Sous ton déisme
Se brise au prisme
Le synthétisme
Originel !
Lyre ! qui sculptes
Pour tous les cultes
Des fleurs abruptes
Sur leurs tombeaux,
Tu dis dans l’ombre,
Triangle sombre,
Le divin nombre
Aux sept flambeaux !
A noter que, techniquement, « sculptes, cultes et abruptes » ne riment pas ; Banville, quile savait très bien, n’était donc pas si rigide !
De toutes façon, ses écrits, réflexions et remarques sur la versification (le "Petit Traité de Poésie Française") sont autant remplis de doutes, revirements et contradictions, que ce que sa poésie est sobre, précise, et dégage une impression unilatérale de recherche sensible, novatrice et intelligente…
Banville rompt avec le symbolisme naissant, qu’il aura pourtant contribué à accoucher, et rompt un anévrisme en 1891, Mallarmé l’encense, sa veuve cherche un amant, on est peu de chose…
Salut !
Salus
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