Salus
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Posté à 15h55 le 08 Feb 17
Glose N° 15
Vous soumettant, tout à trac,
Le trop-plein d'un tas de trucs,
Je vous livre (avec le trac)
Mon penser, pansé de stucs !
« LES REFLEXIONS TOC SUR LES CRACKS DE LA POETIQUE »
Nous parlâmes de Hugo, sommes passés par Vigny et avons pleuré sur Nerval ; le 19 ème siècle est un foisonnement poétique d’une richesse et d’une qualité jamais égalées dans l’histoire du vers français ; notre bon pain sur la planche, et le couteau dans la dextre, continuons par Musset, que Rimbaud réprouvera (non sans s’être inspiré de son « Rolla »), pour futilité…
Et c’est vrai que Musset, malgré la longueur parfois rebutante de ses textes, était plus primesautier que fondamental, aimait l’alcool et la fesse, même celle de George Sand, et je soupçonne ce dandy de s’être, à la Gainsbarre, suicidé par l’excès.
Mais pour la musique des vers, pardon ! Un Paganini prosodique aux trilles prodigieux, et des textes sensibles, flamboyants d’intelligence et de culture, écoutez donc « A mon frère revenant d’Italie », interprété avec brio par Brassens, qui hélas en oublie la moitié, ou « la nuit d’octobre » (dont un seul couplet est interprété par Gainsbourg, vous comprendrez alors l’inconcevable modernité dont a pu faire preuve ce poète, dès 1830…
Extraits de l’œuvre (poèmes entiers) :
Alfred de MUSSET (1810-1857)
Adieu !
Adieu ! je crois qu'en cette vie
Je ne te reverrai jamais.
Dieu passe, il t'appelle et m'oublie ;
En te perdant je sens que je t'aimais.
Pas de pleurs, pas de plainte vaine.
Je sais respecter l'avenir.
Vienne la voile qui t'emmène,
En souriant je la verrai partir.
Tu t'en vas pleine d'espérance,
Avec orgueil tu reviendras ;
Mais ceux qui vont souffrir de ton absence,
Tu ne les reconnaîtras pas.
Adieu ! tu vas faire un beau rêve
Et t'enivrer d'un plaisir dangereux ;
Sur ton chemin l'étoile qui se lève
Longtemps encor éblouira tes yeux.
Un jour tu sentiras peut-être
Le prix d'un cœur qui nous comprend,
Le bien qu'on trouve à le connaître,
Et ce qu'on souffre en le perdant.
Musset, ici, joue le jeu trouble du mètre aléatoire, alternant comme au hasard l’octo et le décasyllabe, on frôle le jazz !
Un autre ? – Un autre !
A Pépa
Pépa, quand la nuit est venue,
Que ta mère t'a dit adieu ;
Que sous ta lampe, à demie nue,
Tu t'inclines pour prier Dieu ;
A cette heure où l'âme inquiète
Se livre au conseil de la nuit ;
Au moment d'ôter ta cornette
Et de regarder sous ton lit ;
Quand le sommeil sur ta famille
Autour de toi s'est répandu ;
O Pépita, charmante fille,
Mon amour, à quoi penses-tu ?
Qui sait ? Peut-être à l'héroïne
De quelque infortuné roman ;
A tout ce que l'espoir devine
Et la réalité dément ;
Peut-être à ces grandes montagnes
Qui n'accouchent que de souris ;
A des amoureux en Espagne,
A des bonbons, à des maris ;
Peut-être aux tendres confidences
D'un cœur naïf comme le tien ;
A ta robe, aux airs que tu danses ;
Peut-être à moi, peut-être à rien.
…Possiblement inspirateur de « la religieuse » de Brassens, ce poème sensuel prend aussi des libertés avec la règle classique : « montagnes / Espagne » ne riment qu’à l’oreille, ainsi que « roman / dément » et si le « e » muet est autorisé à n’être pas prononcé dans les « expressions toutes faites » (comme « à tue-tête ») que doit-on penser de « à demie nue » ?
On le voit, Musset est un des premiers à sacrifier la loi de la versification au profit d’une fantaisie que rien ne semble justifier…
Car le poète, sale race
Pille et transgresse, en tapinois,
Comme écureuil ronge les noix !
Puis moi, bon, ben, je vous embrasse !
Salus
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