Quelque part en belgitude...
par Vespertilion
Oeil chevauchant les nuages
Par delà les mailles des cortils*
La houle des terres labourées
Le ruban des forêts
Le livre des vallées
L'autel des plateaux
La vague des collines
La nasse de la plaine
la guirlande des dunes
Les mortes-eaux de la plage
Par delà la Mer du Nord
A l'infinitude
Quelque part en belgitude!
Oeil ouvert au vent nomade
L'espace collapse
Le temps se distend
L'éveil révèle d'anciens rêves...
Rejoindre le passeur d'eau
Qui n'a pas quitté la rive
Le roseau vert entre les dents
Dans le courant à Dendermonde*...
Il vente sur la voix de Verhaeren
Il pleut des frites
Sur tous les melons de Magritte
Devant tous les murs de briques
De Bruxelles à Nivelles...
Il pleut sur tous les terrils
De Mons à Liège
La pluie lave la face des gueules noires
Au sortir de la fosse
A Bonne Espérance, au Rothon, au Grand Hornu
Il pleut sur la Cantine des italiens
Et le canal du Centre
Coup de grisou au Bois du Cazier*
En plein mois d'Août! Douleur!
Il pleut et il pleure
Sur Marcinelle
Dans les yeux des femmes de mineurs
Douleur!
Il pleut sur Seraing, Ougrée, Herstal
Il pleure sur le haut-fourneau
Il pleure sur le laminoir
Il pleut comme je pisse* sur Arcelor Mittal
Sept-mille hommes, privés d'emplois
Il pleure dans chaque famille
Il pleure, il meurt le bassin liégeois...
Souviens-toi!
Il pleut et il pleure
Il pleure et il neige
Dans les tranchées de l'Yser
Au pied du mur des civils fusillés
Sur tous les champs d'horreur
De la bataille de la Lys
De l'Offensive des Ardennes
Il pleut et il pleure sur Quatorze
Il pleut sur la Caserne Dossin
Et les trains de la mort
Il pleut et il pleure sur Quarante
Quarante deux, trois quatre!
Il pleut sur les maquisards
Au fond des bois et du brouillard...
Souviens-toi!
Il pleure sur la Marche Blanche
Il neige sur Julie et Melissa
Il pleure et il neige sur tous les cimetières!
Il neige par delà jusqu'à l'infinitude
Ici, quelque part en belgitude!
Il part le Cheval Bayard
Il fend les vallées du sabot
Il part au grand galop
Emportant les quatre fils Aymon
Vers d'immenses horizons
Il part Thyl l'Espiègle
Loin du temps de Brueghel
Loin des joyeuses kermesses
Loin des mas de cocagne
Il quitte la Catholique Espagne
Qui érige des gibets à Bruges
Il marche vers la Mer
Quérir la Liberté
Jusqu'en infinitude!
Oeil rêveur, âme rebelle
Rétive à tout encagement des consciences
Ton infime pays est un ardent terroir
A la croisée des vents
Il cultive l'hybridité
L'art de l'étrange, de l'épique
Un parfum de dérision
Il se nourrit au lait des légendes
Au lit des mémoires
Aux sucs des racines de la diversité...
Jeunes pousses de ce jardin prolixe
Préservez la Liberté!
Apprenez de vos différences!
Partagez vos valeurs, vos talents!
Haussez-vos coeurs à l'infinitude
Partout en belgitude... et Ailleurs!
cortil : jardin<br />
Le passeur d'eau : poème de Verhaeren<br />
Dendermonde : ville flamande sur la Dendre (affluent de l'Escaut)<br />
Bonne Espérance, Rothon : grands charbonnages<br />
Grand Hornu : ensemble de logements ouvriers et bloc usine (transfomé en musée d'Art Contemporain)<br />
Cantine des italiens : baraquements de fortune pour loger les mineurs italiens <br />
arrivés en 1945 à La Louvière<br />
Bois du Cazier: charbonnage où plus de 4OO mineurs (essentiellement italiens) <br />
sont morts suite à un coup de grisou en 1956<br />
Il pleut comme je pisse (sur les femmes infidèles): Jacques Brel (dans le port d'Amsterdam)<br />
Caserne Dossin : Les nazis y parquaient les juifs rafflés et les résistants avant le départ pour les camps de concentration<br />
Le cheval Bayard et Thyl Uylenspiegel : deux belles légendes!
Poème posté le 14/01/14