En souvenir de l'assassinat de l'archiduchesse à
Sarajevo en juillet .
Dans un siècle d'espoirs qui suivaient d'invraisemblables horreurs
je suis né
quasiment sous les bombes
ma mère
comme d'autres mais plus fragile sans doute
avait continué une vie dont la mémoire
bombardée n'avait rien pu reconstruire :
par les fenêtres de ses yeux, lorsque par hasard
sa conscience revenait à ce temps-là
telle une pleine lune qui revient hanter les noirs
écroulements d'une ville broyée,
je pouvais voir le temps d'un éclair
quelque chose comme un frisson de terreur pure.
« Mais tout cela s'est passé ! » se reprenait-elle
en revenant avec un bref hochement de tête
obstinément à la réalité. A présent elle est morte.
Un moment j'avais cru
que sa terreur mourrait avec elle, la Fragile,
la Désarmée, celle qui affronta les pires
événements d'une vie de femme alors qu'elle n'avait
jamais pu se séparer de la fillette de douze ans
qu'elle était au fond d'elle-même. A présent
je sais que sa terreur a survécu
au plus profond de moi. Je sais aussi
que je mourrai en un siècle d'atrocités auprès desquelles
celles du siècle précédent n'étaient qu'amuse-gueules
pour le Chien Nébuleux aux cent têtes insatiables.