Regard
par Salus
Qu’eussiez-vous fait de vos vingt ans
Si ceux-ci, de la coupe aux lèvres,
Avaient prévu ces lointains mièvres
Et la brièveté des temps ?
A travers les prés de jeunesse
Où s’effare au vent le désir,
Tant d’absolus s’en vont gésir
Dans cet enfer qui tous nous blesse.
J’ai vu, c’était à peine hier,
Le soleil lever sur ma force
Une lumière d’aube torse,
Qu’il était nuit sur mon cœur fier !
Et si ma soif toujours veut vivre,
Avec mon étincelle, seul,
Comme un linceul autour d’un troll,
J’accumule en vain la rime ivre !
C’est le lot commun du savoir,
C’est dans la malédiction d’être ;
Nous sommes calcaire et salpêtre
Et dérivons vers l’avaloir.
Jeunesse gâchée au grand morne,
Emportée en d’horribles fronts,
C’est d’irréparables affronts,
C’est d’un sépulcre qu’un cœur orne !
Rien ne dure dans l’air, aucun !
Hors l’essence de ce qui passe,
J’aimais tant cette carapace !
Il nous mange un très grand requin…
J’ai, vie, aimé ton amertume,
Mais l’éclair - et tout est passé-
C’est glaçant, lugubre, impensé !
O ma vie ! Immense fortune !
Aujourd’hui, de mes doigts crochus,
Je retiens l’heure et la seconde ;
Et j’admets l’idée inféconde
Des jours brefs qui me sont échus.
Un bord de vie est un vertige,
Et tout ce que j’oublie est mort ;
C’est vers le bas qu’on vient au sort,
La fleur fane en coupant la tige.
Aujourd’hui ? C’est déjà demain !
… C’est dans le feu blanc de l’enfance
Ou quelque après-midi figé
Dont le secret, réfugié,
Tient d’arcane et de transparence…
Qu’avez-vous fait de vos vingt ans ?
Poème posté le 08/12/17