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Poésie libre / Léa et Sadia
              
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Poésie libre / Léa et Sadia

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Léa et Sadia
par Johnyvel


Le lendemain à l'aube ils quittent le studio. La grand-mère, immobile, est penchée sur le balcon du premier étage. Il est si tôt qu'on se demande depuis quand elle est réveillée. Il semblerait qu'elle soit appuyée sur ce rebord depuis des millénaires. L'habit qu'elle porte, qui n'est ni une robe ni un tablier, est au moins aussi vieux qu'elle ; il est léger sous le vent, et couvre juste assez de peau pour protéger l'intimité indécente de la vieille dame. Le décor de la rue au petit matin ne subit aucune perturbation. Pas un passant, pas un oiseau, pas une feuille. Pas un mouvement de paupière. A tel point qu'on n'arrive pas à savoir si cette femme est humaine ou si elle s'est transformée en plante. Rien ne bouge. Puis, lentement, sortant de sous la terrasse - comme le soleil qui sort de la mer -, les amants apparaissent. On ne sait pas si elle les regarde. La rue est longue, si longue que l'on en voit pas le bout, si longue que l'horizon se floute comme un mirage dans le désert. Il semble que les deux amants se dirigent là-bas, tout au bout de la rue montante ; et qu'après une longue marche ils fondront dans ce mirage lointain, consumés par le soleil qui commence juste à apparaître au sommet de la rue... La grand-mère, plantée là entre les pots de géraniums rouges et blancs, n'a pas bougé. On ne peut pas savoir si ses yeux suivent les amants tant l'angle de son regard est aplati et tant leur marche est lente. Au bout de l'horizon, après une interminable traversée, Sadia ouvre son bras et attrape tendrement le cou de Léa - comme le ferait un homme. Ils sont tout en haut de la colline, de dos, et leurs corps réunis sont envahis par le soleil jusqu'à hauteur de poitrine. Il ne reste, au-dessus du soleil brûlant, que leurs deux têtes siamoises, leur nuque partagée, et leurs deux épaules coulantes sur chaque flanc ; un animal bicéphale au ventre creusé d'en bas par le feu, d'un creux aussi rond qu'une moitié de cœur. Mille teintes rouges et oranges se meuvent et se dispersent comme des coups de crayons libres et dont la seule contrainte est de ne jamais dépasser le trait qui dessine le contour du soleil. Pourtant, quelques rayons se détachent et recouvrent les amants d'une main de feu. Face à ce spectacle de couleurs, brisant l'affreux silence de la rue, un souffle sourd et unique : on jurerait que c'est un "dernier souffle". Puis tout bascule. La conjugaison de deux mouvements verticaux - celui du couple qui remonte la rue et celui du soleil qui se lève -fait se noyer le monstre bicéphale dans une vague brûlante et sans écumes.



Poème posté le 06/01/18


 Poète
Johnyvel



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