Minette a les crocs!
par Saline
Elle passe
Son corps tient en ses yeux
Fragile objet d’os et de moustaches
Elle passe
La vie berce encore son regard
Se reflète dans son iris
Les débuts des printemps d’avril
Les jonquilles et les nids des pies dans les bouleaux
Ceux de l’autre coté de la fenêtre
Là, où vie passe sans vergogne
Dans la rue qui mène à l’hôpital
Chauffards, chauffeurs, bus, trottinettes, ambulances, pompiers, premiers nés, nez cassé, le vieux avec sa canne, la vieille avec sa tremblote, Congolais, Briards
Et aussi chats en promenade….
Elle passe
Ho, qui ça déjà ?
Qui est passé ?
Qui a bien pu déjà passé ?
Ne dois pas passer !
Non pas tout à fait !
Dit le corps ratatiné de Minette !
Elle passe
Ho, où ça déjà ?
Ecrit sa maitresse
Qui commence aussi à chercher
Rechercher
Les puces de son passé
Les choses semblent fuir la tête
Pour danser en désordre
Dans le rond d’une idée
Pendue à la suspension
D’un délire
Hésitant
Selon l’heure
Entre l’éthylique
Et la simple paresse
D’une rêverie sur un sofa
Elle passe sous mes jambes
Présence de plus en plus flottante
Maigre échine
Je ne la caresse plus
Je lui ferais mal
A ma porcelaine
Je me contente de l’appeler de temps en temps : minette !
Minette ne répondra pas
Mais son cœur battra un coup
Pour dire oui
Deux
Pour dire non
Ce n’est pas que le temps fut court
C’est qu’il est toujours trop court
Sans compter la courbe de nos mamelles
Qui nous ramène qu’à mamies fières mais sur le déclin
La vie fait ses valoches
Ajoute juste quelques poches sous nos yeux
Pour les plus gourmands
Les empileurs de sens, de sons, de mots, d’odeurs
52 ans
10 bibliothèques fortes branlantes
Ikea basic oblige
Des rayons comme des wagons
La vie y coule son train
Son train train
Ses petites aventures
Qui remplissent de grands mouchoirs
Les étourderies
Qui saccagent de grandes résolutions
Et puis zut
Flute
Pic et pic
Et colégram
Boule de gomme et jeux d’enfants….
J’avais bien une revue… sur le sujet de…. Coincée… quelque part entre le haut et le bas
Ce ne sont plus des bibliothèques
Ce sont des grottes
Avec risques d’avalanches au premier retrait du dernier grain de poussière
Qui nous viendrait là
Faire la causette avec moi et minette
Poussière
Si tout doit tourner poussière
Minette et moi prenons de l’avance
vivant avec
Cohabitant, réfléchissant de tous nos sens en vibration
Entretiens œcuméniques
De la vie passée
Aux projets de vacances
Toujours près des flots
Où s’entretiennent des débats de même sidération
Maladivement aérienne
Avec les dauphins et les marsouins
Minette s’assoit
Me considère
Ses yeux disent faim
Je sais que dans deux secondes
Une toute petite fraction de langue rose passera sur un museau tout aussi rose
Un pur rose
Clair comme un pétale de pivoine
Rappel silencieux
Mais ferme
Rappel qu’elle traine sérieusement la dalle
Minette ne miaule plus
S’en doute à s’entendre
A-t-elle compris
Que sa voix de féline
Est troquée par un vilain diable
Avec une voix de chèvre antique
Fierté de diva trahie !
Minette tient son opéra dans l’espace de ses yeux
Cernés d’un noir pur
D’une pure Callas
Minette a faim
Ce qui arrive à peu près toutes les deux heures
J’ai regardé l’horloge
Bien qu’une horloge soit plus simple à amadouer, en triturant quelques vieux ressorts
Les plus rouillés
Les plus roués
Une horloge est plus simple à amadouer qu’un chat
Je passe sur ma minette affichant ses quinze ans
Un instinct quasi communiste inné de l’idée de droit à la retraite
Minette tient compagnie à Minette
Et toc !
Minette a faim toutes les deux heures
Et je bourre
Elle gave et maigrit tout aussi consciencieusement
Elle le sent la minette
Que la vie déraille
Mais foi de minette
Elle ne donna jamais de combat facile
Minette mange et remange
Elle a du caractère, ma minette !
Sans doute
Un soir
Une chose peu sympathique
Aussi vieille que le monde
Aussi moche que nos poubelles
Glissera sur notre lino en forme vieux chêne
Mais !
En ce moment
Minette n’ait pas d’humeur !
Et puis elle a les crocs !
Je lui fais confiance
Je tiens les paris les plus hardis
La première silhouette un peu noire, un peu traitresse, avec une gueule vaguement hypocrite qui s’avisera à passer…
Sera transformée en steak tartare
Et bouffée fissa
Avec des frites
Ha !
N’oubliez pas
La mayo !
Chef !
Poème posté le 17/04/17