La dame de Grassempouy
par Ann


par Louis

par Ann

Alex traversait tout l’Alaska par la route de Dalton, une piste de six cent soixante-six kilomètres depuis une quinzaine d’années. Eté comme hiver pour ravitailler les forages du grand Nord. Une revanche sur la vie, un défi. Mais hier soir, la douzaine d’habitants de Wiseman n’aurait rien pu faire. C’était sa dernière mission avant de partir vers la vieille Europe. La piste avait fait une crise de jalousie ; Alex se mariait et par amour, une provocation qui méritait une leçon mais la leçon tourna au drame. Une des roues arrière droite s’était déchirée sur une arête de glace effilée, rien de grave si une ourse attirée par la curiosité et la faim n’avait pas d’une étreinte fatale lacéré Alex qui mit plusieurs heures à se vider de son sang appelant sa chère Manda dans le grand silence polaire. L’entreprise de transport fit rapporter les quelques restes retrouvés de la victime sans qu’on en informât Manda. C’est un collègue qui eut l’initiative de cette funeste démarche. La famille Awashish n’associa pas la fiancée au deuil. On ne communie pas avec ce pain-là, ce pain était indigeste. Un signe devant une pierre fichée en terre : Alexandra Awashish – 1960 – 2011 Priez pour Elle Amandine retourna seule sur la terre de ses aïeux. Dans la salle d’embarquement, elle tuait le temps en lisant le North Daily Télégraph. Le AC7507 d’Air Canada Express avait bien fait un atterrissage en crabe le 25 avril de l’année précédente mais les passagers avaient simplement vécu une hallucination collective pendant le vol, agressant une femme sans dommage corporel. La commission d’enquête concluait que la compagnie ne saurait envisager une quelconque indemnisation, sa responsabilité n’étant pas engagée. La victime n’ayant par ailleurs pas porté plainte, l’affaire fut classée. Elle présenta un billet double tarif imposé par la Compagnie pour surcharge pondéral. On lui fit une fleur puisqu’on lui remboursait le billet d’Alex à titre exceptionnel par compassion pour son grand malheur. Elle fit le voyage de l’année précédente à l’envers portant tout le poids de son désespoir. A Grassempouy, les pins brisés par la tempête Klaus alignait leur corps sur la terre noire. Campée dans son airial, la ferme isolée était triste mais c’était chez elle. Dans la salle commune un peu sombre, il y avait côte à côte deux robes de mariée pendues au manteau de la cheminée. Matteo, une graine de crapule avait raconté sa découverte. On ne sut jamais à quel mauvais coup, on lui devait la nouvelle qui se répandit comme une trainée de poudre parmi les villageois. On chuchotait dans les ruelles car la médisance n’a pas le courage du grand jour. La vie reprit le chemin de la monotonie et un jour de quatorze juillet, Amandine se força d’aller au feu d’artifice. Elle y retrouva son premier cavalier, ils se serrèrent l’un contre l’autre. Avec l’humidité de ces quinze jours de pluie, la nuit était fraiche. Ils firent mine de quelques pas de danse et puis assis sur le banc déserté par les vieux, ils parlèrent La cérémonie fut célébrée un vendredi. Perchés sur cinq registres de l’état civil, le maire reçut le consentement des mariés. La promise dans sa robe sombre affichait un sourire triste mais comblé. Personne n’osât jamais se gausser d’Amandine tant que dura leur union qui fut courte mais heureuse. C’est que le vieux Frédéric avait encore de la prestance dans son uniforme qu’il sortait encore pour les grandes occasions. Dans le lit, laissant à d’autre le secours à la veuve et l’orphelin, les interventions au feu et aux inondations, il s’endormait sur ses deux oreilles bien calées dans les poignées d’amour de son épouse. Ça faisait « Pin pon, pin pon » comme une berceuse, là quelques part entre les seins de sa moitié. Le bonheur n’est pas plus compliqué.

Suite d'Alex

Poème posté le 13/07/14