Karl
par Domagoj sirotinja
J'ai fait la connaissance d'un Autrichien nommé Karl,
l'espace d'une savoureuse conversation entamée autour
d'une poignée de bières fraîches. Je lui ai exposé ma
théorie sur l'avant----après. Ayant remarqué mes notes
rédigées en français, il vint et s'adressa à moi dans la
langue de Ronsard avec un accent ondulant et un voca-
-bulaire en pirouettes. Des ses yeux giclaient la géné-
-rosité et la malice, de ses traits transpirait son âme
de bohème, une mélancolie jaillissait de cette combi-
-naison. Il vivait exilé à London et sa fugace visite à
Frankfurt l'enchantait, en tant que biznessman. Il parlait
avec son cerveau et son coeur en toute décontraction
et sans arrière-pensée, je lui ai servi mes tripes comme
plat de résistance. Emporté par ma frénésie poétique,
je lui ai livré une bonne partie de mon essence et de ma
naissance artistique en inventant des métaphores, ému
par ma propre aisance philosophique. Ma salive se
renouvellait à chaque hyperbole et le crachin de mon
palais nourrissait ma voix d'une source universelle,
belle comme la séduction d'une vierge craintive.
Karl portait en lui une ambition polyvalente,
une exaltation transcendante. Il dirigeait une entre-
-prise de cosmétique à London mais ses racines
boulimiques le conduisaient à entrevoir d'autres
expansions non explorées. Il m'avouait qu'il dessinait
décemment, qu'il tripotait du pinceau et avait réussi
à vendre quelques toiles assez facilement. J'ai compris
qu'en m'étendant passionnément sur ma vie poétique
insolite, mes humeurs de vagabond et ma friabilité de
saltimbanque ingérable, je l'avais touché là ou ça remue
instantanément, là ou aucun remède n'agit sans laisser
de traces.
Cher Karl, j'ai apprécié nos confidences réciproques,
nous nous ressemblons tous les deux, tièdes entre
l'avant et l'après, entre la négation du passé et l'interdit
du futur. Je ne distribue pas de passeports pour
l'avenir, celui qui regarde en arrière ne franchit pas
les frontières. Cela se commente dans le présent
moment et ce présent est un vide intemporel.
@ Edi Sorić
Poème posté le 12/03/11