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Poésie d'hier / Au temps que la feille blesme
              
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Au temps que la feille blesme
par Théodore Agrippa d'AUBIGNE


Au temps que la feille blesme Pourrist languissante à bas, J'allois esgarant mes pas Pensif, honteux de moy mesme, Pressant du pois de mon chef Mon menton sur ma poitrine, Comme abatu de ruine Ou d'un horrible meschef. Après, je haussois ma veuë, Voiant, ce qui me deplaist, Gemir la triste forest Qui languissoit toute nuë, Veufve de tant de beautez Que les venteuses tempestes Briserent depuis les festes Jusqu'aux piedz acraventez. Où sont ces chesnes superbes, Ces grands cedres hault montez Quy pourrissent leurs beautez Parmy les petites herbes ? Où est ce riche ornement, Où sont ces espais ombrages Qui n'ont sçeu porter les rages D'un automne seulement ? Ce n'est pas la rude escorce Qui tient les trons verdissans : Les meilleurs, non plus puissans, Ont plus de vie et de force, Tesmoin le chaste laurier Qui seul en ce temps verdoie Et n'a pas esté la proie D'un yver fascheux et fier. Quant aussi je considere Un jardin veuf de ses fleurs, Où sont ses belles couleurs Qui y florissoient naguere, Où si bien estoient choisis Les bouquets de fleurs my escloses, Où sont ses vermeilles rozes Et ses oillets cramoisis ? J'ai bien veu qu'aux fleurs nouvelles, Quant la rose ouvre son sein, Le barbot le plus villain Ne ronge que les plus belles : N'ay je pas veu les teins vers, La fleur de meilleure eslitte, Le lys et la margueritte, Se ronger de mille vers ? Mais du myrthe verd la feuille Vit tousjours et ne luy chault De vent, de froit, ny de chault, De ver barbot, ny abeille Tousjours on le peut cuillir Au printemps de sa jeunesse, Ou quant l'yver qui le laisse Fait les autres envieillir. Entre un milion de perles Dont les carquans sont bornez Et dont les chefz sont ornez De nos nimphes les plus belles, Une seulle j'ai trouvé Qui n'a tache, ne jaunisse, Ne obscurité, ne vice, Ni un gendarme engravé. J'ay veu parmi nostre France Mille fontaines d'argent, Où les nimphes vont nageant Et y font leur demourance ; Mille chatouilleux zephirs De mille plis les font rire : Là on trompe son martire D'un milion de plaisirs. Mais un aspit y barbouille, Ou le boire y est fiebvreux, Ou le crapault venimeux Y vit avecq' la grenoille. Ô mal assise beauté ! Beauté comme mise en vente, Quand chascun qui se presente Y peut estre contenté ! J'ay veu la claire fontaine Où ces vices ne sont pas, Et qui en riant en bas Les clairs diamens fontaine : Le moucheron seulement Jamais n'a peu boire en elle, Aussi sa gloire immortelle Florist immortellement. J'ai veu tant de fortes villes Dont les clochers orguilleux Percent la nuë et les cieux De piramides subtiles, La terreur de l'univers, Braves de gendarmerie, Superbes d'artillerie, Furieuses en boulevers : Mais deux ou trois fois la fouldre Du canon des ennemis A ses forteresses mis Les piedz contremont en pouldre : Trois fois le soldat vengeant L'yre des Dieux alumée, Horrible en sang, en fumée, La foulla, la sacageant. Là n'a flory la justice, Là le meurtre ensanglanté Et la rouge cruauté Ont heu le nom de justice, Là on a brisé les droitz, Et la rage envenimée De la populace armée A mis soubz les pieds les loix. Mais toy, cité bien heureuse Dont le palais favory A la justice cheri, Tu regne victorieuse : Par toy ceux là sont domtez Qui en l'impudique guerre Ont tant prosterné à terre De renoms et de beautez. Tu vains la gloire de gloire, Les plus grandes de pouvoir, Les plus doctes de savoir, Et les vaincueurs de victoire, Les plus belles de beauté, La liberté par la crainte, L'amour par l'amitié sainte, Par ton nom l'eternité.



Poème posté le 27/12/09 par Rickways

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