Salus
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Posté à 16h51 le 17 Feb 17
Glose N° 18
« LES AVENTURES DE LA POESIE ! »
18 ème épisode
(Résumé : que pourrait-il encore advenir ?)
Charles Baudelaire a mis nu
L’art confus des belles sibylles
Dans l’enfer nouveau de nos villes,
…Et fouillé l’esprit biscornu !
Ainsi que Banville, mais plus iconoclaste, Baudelaire se réclame autant du romantisme que du Parnasse, c’est un viveur, à la fois cynique et idéaliste, un dandy d’une intelligence exceptionnelle, qui crée une poésie empoisonnée, savante et sombre, une innovation
littéraire que, quasiment dans le même temps, Isidore Ducasse, comte de pacotille et de Lautréamont, double en prose !
Mais si Maldoror chante une révolte baroque et surréaliste dans une manichéenne recherche des contraires, la poésie du grand Charles nuance une beauté confondante, servie par une redoutable lucidité ; tous les articles du poète, en quelque journal qu’ils parussent, et quel que soit le sujet, sont pétillants d’une critique acerbe – et amère - de l’humain ; il fait volontiers fi de la règle, sans justification apparente, comme on secoue sa chaîne, mais il défend le pouvoir créatif de la contrainte, et, d’une invraisemblable vivacité d’esprit, affiche une modernité de ton qui rappelle parfois Boris Vian… Sa maîtrise de la langue est parfaite, son travail rigoureux et sa recherche pieuse des beautés glauques atteint parfois l’intensité animiste d’un Nerval. Un Nerval qui aurait noyé sa muse dans du sang…
Écoutons-le :
L'horloge (extrait)
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Baudelaire est un précurseur, il invente une nouvelle manière de représenter le réel, une esthétique alambiquée, perverse, puissante, une élégance noire qui n’appartient qu’à lui, et que moult jean-foutre de son temps, qui auraient voulu qu’on le brûlât, car il dérangeait le calme insigne et sacré de Dieu et du bourgeois, osaient – et de quelle façon ! – remettre en cause !
Indiscutable clairvoyance des bien-pensants...
Ses « Fleurs du Mal », unique et glorieux recueil de ses vers que je souhaite immortels le plus longtemps possible, lui valurent bien des soucis, et presque la prison.
Qu'on en soit venu à considérer son œuvre comme une mièvrerie pour adolescent boutonneux est un scandale absolu et la preuve irréfutable du bon goût inné des adolescents boutonneux !
Baudelaire, avec son travail de l’ellipse, son surréalisme latent, le jeu de la forme et de l’évocation décalée, prépare le terrain du symbolisme, qui est à mon avis ce que la poésie aura produit de plus fort, en tant que genre, depuis l’art pariétal !
Rimbaud l’admirait, et il avait bien raison, j’aime moins ses poèmes en prose (Le spleen de Paris), qui, selon moi, n’atteignent pas à la magie de ses vers ; Baudelaire gratte derrière un rideau, celui du réel, que seul Rimbaud finira par déchirer ; mais c’est une autre histoire.
Il faut écouter Gainsbourg – encore lui ! chanter « Le serpent qui danse », et relire, et relire ces Fleurs maudites qui ne se fanent jamais…
Allez encore un sonnet, puis :
J’irai vers Hypnos immonde,
Cueillir le rêve poisseux
De cent cauchemars oiseux,
Dans la tombe de son monde.
(Ça, c’est du Salus), voilà l'aigle :
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
Alchimie de la douleur
L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
Dit à l'autre : Vie et splendeur !
Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.
Bonne nuit, les petits…
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