"Tu vas pas partir sur une roue!!"
Jojo ne plaisante pas quand il s'agit de l'apéro.
Pourtant faudrait que j'y aille, j'ai rendez-vous à 14h et faut que je bouffe. Seulement voilà, j'ai rencontré Jojo et Jojo il est à cheval sur les convenances, du moins sur les siennes. Chez lui l'apéro n'a de sens qu'à partir de deux tournées, en deçà il considère que celui qui part porte atteinte à son sens de l'hospitalité et il se vexe.
Alors je me rassois et lui dis: "Bon, une larme".
Les larmes de Jojo sont ce qu'elles sont et y'a pas à discuter. Je ne discute donc pas.
"T'as vu le bordel?" me demande t-il en pointant la télé du menton.
Oui j'avais vu, je venais justement de passer 3/4 d'heures à faire la queue devant une station d'essence en regardant des zigues remplir réservoirs et jerricanes en prévision d'une guerre nucléaire sans doute, vu que la plupart que je connaissais (le pays est petit) n'avaient besoin de leurs bagnoles que pour aller jouer au tiercé.
Enfin, j'y étais arrivé et en sortant de la station, j'étais tombé sur Jojo qui venait de faire pisser Mitterrand.
Il avait donné ce nom "pour faire la pub du président" d'alors comme il disait, au bâtard blanc et noir qu'il avait récupéré je ne sais où. Le chiot n'avait que 2 semaines quand la mère était morte et mon Jojo attendri s'était transformé en nourrice attentionnée.
Mitterrand allait sur ses 16 ans, les sorties pipi tenaient du sacerdoce et Jojo n'en finissait pas d'attendre, d'encourager, de décrotter bref il y passait une partie de ses journées.
Là ils rentraient, l'un retenant l'autre, lorsque je passais devant eux. Jojo leva la main et en faisant mine de boire un verre me fit comprendre qu'il m'invitait pour l'apéro.
Je me garais quelques mètres plus loin et nous entrâmes ensemble chez lui. Mitterrand en profita pour pisser un dernier coup en passant le seuil. "Il se rend plus compte" dit Jojo l'air abattu, et puis d'un ton qui se voulait dégagé "Bon parlons plus de ça, on va s'en jeter un".
On avait pris un pastis.

Il me sert maintenant le second et je discute pas.
Avec Jojo on reste parfois longtemps ensemble sans dire un mot, c'est pas la peine, on se connaît tant.
Mitterrand vient poser sa tête sur mes genoux, il bave ce con. Jojo me regarde il sait que j'aime pas, alors il dit au clébard "Mitterrand vient ici, Pierre il t'aime pas".
- Tu sais bien que c'est pas vrai, mais j'aime pas qu'il bave sur moi
- Il se rend plus compte
Décidément il n'a que ce mot à la bouche aujourd'hui. Il a ses périodes comme ça où il rabâche et devient vite chiant.
- T'es chiant à te répéter!
- Il va mourir demain
- Comment tu le sais
- Il me l'a dit, me répond t-il le nez dans le menton.
- Tu parles chien toi maintenant?
- Non, mais on se comprend, il est au bout, demain il passe.
Et j'ai vu dans les yeux de Jojo l'infinie détresse de l'absence, celle qu'on sait irrémédiable.
- T'en prendras un autre?
- Toi quand tu t'y mets, t'es vraiment con, me répond-il sans colère.
Alors je m'approche de lui et lui passe un bras sur les épaules.

Vraiment bon!
on est avec vous...je le vois ton pote...
Le dog, c'est ti pas un boxer?le meilleur chien du monde quand il ne bave pas...nous en avons eu un et un seul...Pruche...jamais oublié...
Aglaémue

dis moi il est mort le chien ?,
moment entre mecs où les mots ne sont pas necessaires pour faire passer les sentiments
En tout cas toi à travers tes mots tu as bien fait passer ces silences d'émotions !

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Jojo n'existe pas, Mitterrand non plus. Enfin Mitterrand si mais pas Mitterrand.
Mitterrand n'est pas un boxer c'est un truc blanc et noir qui bave.
Donc Mitterrand n'est pas mort, enfin si mais pas lui, Mitterrand celui des labradors, et les labradors c'est pas blanc et noir, ça se saurait.

Agla épastafourbie!
J'aurais juré que c'était une histoire vécue!
Chapeau!
Aglaé un peu jalouse

Y'a encore des gens qui pensent qu'un auteur ne peut parler que de ce qu'il a vécu, que le "vrai" ne se trouve que là...
Moi je pense que le "vrai" pour le lecteur c'est ce qu'il lit. Ce qu'est l'auteur n'est que secondaire, voire sans intérêt.

Et ce que lit le lecteur, c'est ce qu'écrit l'auteur, ce n'est pas ce qu'il est (même si parfois ça peut l'être).
C'est le lecteur qui construit sa réalité à partir du texte.

Alors si je t'ai fait croire à une réalité, c'est que mon bidule a un peu d'intérêt et ça ne me déplait pas.

Toute la force de la littérature tient dans le monde que l'auteur invente et qu'il arrive à faire passer pour vrai par celui qui le lit.

Sinon, à quoi serviraient les grands auteurs?
Ils nous entraînent dans des coins inconnus qui deviennent réels par le talent qu'ils ont à nous les faire partager. Cette "réalité" nous ouvre de nouveaux horizons, de nouveaux éclairages, de nouveaux espaces de liberté, d'imagination. Bref cette réalité qu'ils inventent nous fait changer, progresser...

Ton histoire m'a bien accrochée, l'important c'est qu'elle soit "vraie" pour le lecteur quand il la lit. La vie de l'auteur, on s'en fout, je ne veux pas dire que l'auteur ne m'intéresse pas mais dans ce cas RV autour d'un café.
Le rapport entre les deux hommes et l'attachement de Jojo pour son chien est bien décrite.
Ton personnage vénère l'apéro, la preuve que c'est une histoire inventée, l'auteur ici est sobre comme un chameau et puis après tout j'en sais rien. Bravo pour le texte

Ann et Pierre

Bien entendu je suis d'accord avec vous et je mesure toute la difficulté que j'ai, moi, à sortir de ma petite vie...agla

J'ai un avis sur les artistes (donc sur les auteurs), mais il n'est pas politiquement correct.
Je pense qu'un véritable artiste n'a aucune imagination, il ne sait que décrire le monde tel qu'il le voit, lui, à travers ses sens.
Il n'anticipe rien, mais sa manière tout à fait personnelle de ressentir le réel est si aigue (putain de tréma!), si éloignée de la notre que cette "manière" nous fait penser à une invention, une projection, une prémonition...

Non, l'artiste est un type tellement ancré dans son temps, que l'histoire finit par confondre le temps et l'artiste.

Parceque dans le fond, tout existe, il suffit de le regarder.

Aragon donne la définition : "Le roman est un mensonge qui dit la vérité". Il a par ailleurs écrit "Le mentir-vrai". Tout est dit en peu de mots.

Ouais, mais je suis pas Aragon. Je l'ai su il y a longtemps, je m'y suis fait.

je pense qu'il n'est jamais tout à fait accompli, mais si on se met sur le chemin c'est déjà pas mal...

Pffft... De grandes théories, de grandes diatribes pour camoufler une horrible faute...

Le chiot n'avait que 2 semaines quand la mère était morte et mon Jojo attendri c'était transformé en nourrice attentionnée.

Pour commencer, c'est "laid" d'écrire un chiffre dans un texte. Tu devrais savoir ça, Pierre! Deux, c'est seulement que trois petites frappes de plus hein? Et ensuite, il faudrait pas un "s" à la place du "c"?

Putain! (Comme tu dirais), que c'est bon de corriger un grand nom!