Salus
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Posté à 14h45 le 31 Dec 17
"Le pays des hommes intègres"
Albert Guignard, PDG des éditions du Mont Popey, dont le chiffre d'affaire doit avoisiner le montant du cours du rouble (TTC), Albert Guignard est un copain.
Oui, c'est un "poète sauvage", et je tiens de la même confrérie ; son maquis culturel est bien caché (sauf sur le web), mais je n'ignore aucun de ses détours, et je m'y meus à l'aise ; bien, et puis, par ce qu'il a la flamme facile et la tendance positive saine, quoique légèrement mystico-marxiste, Albert est un fan de Tomas Sankara, qui transforma sans effusion de sang la Haute-Volta en le Burkia-Faso, dans les années, oh ! j'avais 20 ans, t'as qu'à voir !
Ouai ? Dès qu'il a su que j'étais à Ouaga, en pleine révolution, il m'a demandé un court texte en prose, qu'il lirait lors d'un truc qu'il organisait pour, inlassablement, faire progresser l'idée poétique et politique, c'est son truc, à l'Albert, et ça vaut mieux que de vendre des amphétes, je vous le dis !
Voila.
Depuis, j'ai plus entendu parler de rien, il me reste le texte, je vous le passe :
En direct de Ouagadougou :
Ce fut une belle révolution ; propre, festive, avec quelques rares morts, qui devaient l'avoir bien cherché, et beaucoup d’intelligence ; Sankara, gentiment stalinien, voulait réellement faire avancer son coin de planète, de manière authentiquement communautaire ; nous, on était plutôt là par hasard, on savait qu' il y avait ''des troubles'', bon, on était un peu anar, et plus loin, il y avait Rawlings, au Ghana, qui menait une quête comparable, tout ça nous branchait bien.
Ouaga, c'était une vraie ville africaine, pleine de soleil et d'odeurs, et sans électricité dans les rues, pas de goudron sur la poussière, des vautours, familiers comme nos pigeons, du bruit, des bagnoles bricolées, des vélos, des gens partout, à toute heure ; la nuit était mouchetée de bougie, on partageait les haricots, délicieux, préparés en sauce par de grosses mamas hilares, payés cent franc/cent franc (que dalle), avec les minots qui nous disaient en rigolant que les gamelles étaient remplis de choléra, pour qu'on leur donne notre part ; tout ça à la lueurs des feux, des lampes à pétrole, avec des radios qui crachaient du reggae et de péremptoires pamphlets communistes...on habitait dans des quartiers pourris, sympathiques et louches, neuf mètres carrés, parpaings et tôles ondulées, derrière l'aéroport, avec les filles qui se vendent ; j'achetais pas, mais nous, on étaient déjà plus amoureux, plutôt partenaires … J'avais vingt ans, j'étais en pleine forme ; en ville, ça tirait de partout, pas longtemps, et la nuit, couvre-feu : (- Il faut arrêter, même ! Je vais tirer, là !) ...T'avais intérêt à obtempérer !
On pouvait discuter avec les soldats, s’asseoir sur les sacs de sable, pousser le mufle dangereux de la mitrailleuse, offrir des clopes, et les mecs te disaient leur révolution, leurs espoirs, le village qui manque, la famille, oui, mais toi, tu n'as pas d'enfant ? - eh non, tu sais, chez nous, on fait pas toujours des gosses, ça, notre conception de la famille, hein !
''La patrie ou la mort, nous vaincrons !'' c'était le slogan à la mode, mais, grosso-modo, tout le monde se comportait étrangement bien, peu d'exactions, pas de pillage, nulle horreur coutumière des révolutions ; je dis pas, quand on s'est fait rafler par les CRD (Comités de défense de la révolution) on s'est bien fait un peu bousculer, et dans leur caserne, il y avait une immense cage en plein soleil bourrée de gens à poil et assoiffés, (peut-être ceux qui avaient construit la cage ?), bref, ça pouvait être chaud, comme quand on s'est fait braquer (pour contrôle) par des gamins-soldats rigolards et agressifs, le doigt sur la gâchette de leurs jolies mitraillettes, et dont le plus âgé ne devait pas avoir 15 ans, pas de bisounours pour ces mômes-là, ils participent de l'Histoire, figure-toi ! - Mais le blanc impérialiste, là, qu'est ce qu’il vient chercher ?
Oui,oui, mais en Afrique, les blancs sont comptés, eux ! Alors, tu risques moins...
De rares rackets, peu de business, beaucoup d'espoir, une vraie adhésion populaire à des idées de partage, d'égalité (''le pays des hommes intègres''), au milieu d'un contexte géo-politique totalement foutraque, plein d’alliés douteux, de traîtres futurs, de pays voisins méfiants, d’hégémonie économique occidentale, un coup d'état d'une invraisemblable bonne humeur, cumulant l’efficacité militante et l'humanisme, parfaitement !
Jusqu'aux injonctions Sankariennes immédiates, à s'habiller et manger sur les ressources du pays, même à l'intérieur de son propre état-major, qui furent frappées au coin d'une saine conception politique visant à l'égalité, au partage et à l'autonomie...
Finalement, des gens honnêtes, une rareté !
Oui, ce fut une belle révolution...
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