Donc, nous partîmes.
Tous cahotés, bringuebalés, les paysages nous coupaient le souffle …
Mais pas qu'eux …

La chaleur aussi.
Au bout de quelques minutes, la comtesse enleva sa lourde perruque blonde.
Elle était encore blonde, mais beaucoup moins bien coiffée.
« Dieu, me dis-je … au bout de trois semaines, que lui restera-t-il, si elle enlève tous ses artifices ? »
Son espèce de valet velu dormait, tout nu.

Harpagon suait, mais tenait bon.
Il essuyait sa cassette tendrement, au fur et à mesure ; il avait une grosse boîte de kleenex achetée à bas prix dans un supermarché DisCount.
Et Pierre continuait de chanter, « qui c'est celui-là ? »,
avec un petit frissonnement dans sa moustache et son air espiègle pas encore entamé.

Je voyais, par l'espèce de fenêtre aux gros et lourds rideaux rouges, qui n'étaient pas complètement tirés à cause de la chaleur, les incroyables gesticulations du cocher, qui manipulait toujours son tournesol, et devait, en outre, conduire les chevaux, dont le sens de l'humour assez développé les amenait à s'arrêter brusquement, pour manger un trèfle ...
(je me souviens à ce moment là, quelqu'un a dit : « Ouais … le cocher, c'est un joueur, je l'ai vu au P.M.U … »,je ne sais plus qui c'était, bien qu'encore aujourd'hui, j'ai encore des soupçons sur la Comtesse, qui, je l'avais constaté, parlait beaucoup, trop, comme tous ceux qui croient tout savoir parce qu'ils ont lu « Moisi »)

J'avais tout de suite jeté ma montre Cartier avant de monter à bord …
- au moins je ne tenterai pas le diable-
et, du coup, je perdis un peu la notion du temps.
Le cadran du jour avait été jeté ce matin à six heures, juste avant le départ, à nous de savoir observer les différentes lumières pour savoir l'heure …

Je pense que tout le monde a dû somnoler à ce moment là.
Peut-être même le cocher, et j'eus une pensée très forte pour les chevaux.
Avaient-ils été munis d'un G.P.S., au moins ?
J'avais soif.
Mais j'avais oublié, bien entendu, ma petite fiole de Vichy ; et dans mon réticule ridicule, je ne trouvai rien d'autre qu'un galet à sucer.

Enfin, nous fîmes une halte.
Le cocher descendit à terre, -ou bien était-il tombé ? - et d'un geste élégant, il flatta quelques croupes.
Enfin, l'heure de la récré des chevaux !
Ils l'avaient bien méritée !
Tandis que nous fûmes parqués sous des tentes de paille, avec des rafraîchissements et des brumisateurs Lévian, je compris que, pour eux, c'était la fête !
Ils riaient de toutes leurs dents jaunies par la nicotine, faisaient leur petite pause cigarillo, en se racontant des histoires drôles de juments et de chevaux, d'hippodromes illustres et de courses improbables …

Il faut dire qu'à cette époque, la cigarette était strictement interdite dans les écuries et que presque tous les lieux publics étaient non fumeurs.
La halte avait dû être prévue de longue date, parce que le buffet qui leur était dressé était très équin, non, venait d'un commerce équitable, je crois, et était bien achalandé …

Je farfouillai dans mon réticule à la recherche de ma boussole, lorsque soudain, je tombai sur un cœur en plastique rouge …

Je ne me souvenais pas avoir vu cet objet …
Etait-ce le cocher qui profitait de la situation en me glissant quelque babiole anonymement, pour essayer de me séduire ?
Il m'avait jeté quelques regards lubriques, aussi je me méfiais.

La comtesse fit diversion à mes questionnements.
Elle me proposa une de ses émeraudes pour l'accompagner faire un petit besoin bien naturel.
Elle avait une peur bleue des insectes en tous genres, -alors pourquoi avoir choisi ce valet qui ressemblait à un gros cafard ? - et n'avait pas encore repéré la fosse d'aisance.

Elle chuchotait, comme si c'était un secret.
Pourquoi ?
A cet instant, je pensais à ce brave Colombo, qui aurait résolu l'énigme en deux temps, trois mouvements ...
Mais lui, il avait dû prendre l'avion.

Il avait l'habitude des voyages inédits.
C'est sa femme qui nous l'a dit.[i][/i]

Ce valet velu à tête de cafard qui dort tout nu : effrayant !
Mais j'adore le réticule, mot délicieusement désuet mais que j'emploie très souvent dans la conversation, par plaisir de déguster ce mot devenu rare de nos jours !

t'as l'édicule aussi qui se fait rare...

Réticule ou édicule, rien n'est ridicule, Pierre, par bonheur !