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Auteurs Messages

Salus
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Posté à 17h19 le 10 Nov 17


PPPF N° 4

Un copain ayant mis à jour le côté bassement thésauriseur du stratagème consistant à
peupler l’espace des « commentaires » d’autre chose que – justement – des commentaires, vous recevrez désormais, en toute honorabilité (ah ! la presse sous le manteau !), votre rubrique préférée, qui sent le nard de vos nuits blanches, comme aurait peut-être dit Nougaro…

Il s’agit évidemment du quatrième épisode des « PPPF »

Petit Précis de Poétique Formelle

(Où l’on tentera de parler musique)



Les monts d’un massif qui s’érode,
Figure inverse aux volutions,
Lentement, comme on clame une ode,
Du poème et de ses fluxions :

A la torchère des trochées,
L’hexamètre nous brûlerons !
Dans nos rimes, ainsi torchées,
A la gloire des Luberons.



La prosodie est la partie sonore du texte lyrique, si je synthétise les longs articles de mon dictionnaire préféré (dictio, onis « action de dire, propos, mode d'expression »), Je trouve ceci :

− METRIQUE :

Ensemble des règles de versification qui concernent la quantité des voyelles, les faits accentuels et mélodiques, surtout en grec et en latin (d'apr. Mounin 1974).


− LINGUISTIQUE :

1 Étude de phénomènes variés étrangers à la double articulation (signifiant / signifié) mais inséparables du discours, comme la mélodie, l'intensité, la durée, etc. (Mounin 1974).

2. [Pour certains linguistes américains ou de l'école anglaise] Segmentation de la chaîne parlée selon des traits relevant habituellement de la phonématique mais qui affectent des unités plus étendues que le son minimal (d'après Mounin 1974).


− MUSIQUE :

[Dans le chant, la déclamation musicale, les récitatifs] Ensemble des règles concernant les rapports de quantité, d'intensité, d'accentuation entre la musique et les paroles.

Merci à Mounin 1974…


Ainsi, il y aurait une musique dans et propre aux mots, et celle-ci, soutenant ou contrariant le sens, le peignant « d’inanité sonore » (Mallarmé) ou des riches atours de beautés sépulcrales, serait même l’axe autour duquel – De la musique avant toute chose – (Verlaine), tournerait le vers…
Et même à la nier, voire avec génie, tel René Char proférant :

« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »

Mauvais alexandrin de 18 syllabes, ne sonnant pas, mal rythmé, prosodie exsangue,
MAIS !
Toute cette indigence calculée soutient admirablement l’aphorisme, d’une portée philosophique et symbolique démesurée… Un géant, celui-là, et courageux résistant, s’il vous plaît !
… Et même à l’ignorer bêtement, comme trop de chanteurs « à texte » (sic), La musique est là ! Parce que la musique, c’est avant tout la parole, le son de notre voix, celui de la nature, le crincrin du grillon qui chuinte de silence et de chaleur, et les effarants grondements sourds des océans brisant aux récifs leurs langueurs infinies …

L’allitération, l'assonance et la contre-assonance, sont des outils prosodiques majeurs, internes au vers, dont il faut user, et même abuser, mais dont on se méfiera toujours, car, truffés de pièges démoniaques allant du ridicule jusqu'aux hauteurs fermées, parfois poétiques, d’un Boby Lapointe, ce sont aussi des outils sournois et dangereux comme une meuleuse d’angle, ils vous sauteront des mains, voire à la gueule si vous les mésestimez.

Tentative directionnelle :



Contre-assonances


Elle avançait, main dans la poche
Avec un déhanchement louche
Fort fascinant

La rue entière était son fief
Et chaque admirateur un serf
Officiant

Comme au culte d'une déesse
Prêtre d'un cul qu'une idée anse
Au firmament !

A la dérobée, aux regards
Biais, elle tut d'un air retors
Sa face altière

Et toisant tout ce petit monde
Bloqua la foule qui se scinde
Et qui soupire !

Les militaires trop moqueurs
Les goguenards de basses mœurs
Et l’hétaïre.

Mais si fermé qu'on puisse l'être
Roulant des appas de ministre
Devant les gens,

Quand on est si belle que ça
Et qu'on rend l'homme un peu gaga
Et fous les sens

Mieux vaut se tenir sur ses gardes
Pour éviter toutes les guerres
- Et les enfants !



Outre ce que l'on en peut penser, on notera qu'une utilisation structurelle de la contre-assonance (dans ce texte presque systématique), crée une musique cohérente, d'un équilibre parallèle à celui de la rime !
Une vraie trouvaille, qu'on attribue, peut-être un peu vite, à Tristan Derème, génie méconnu. Laforgue, autre éfrit de la Muse, s'y est adonné avec brio dans « Lunes en détresse », petit chef-d’oeuvre ciselé, mais la Lyre use depuis toujours de ces cordes, procédés qui sont la base même du timbre poétique, simplement, ça se passe à l’intérieur du vers !

Ainsi, dans un registre tout de pudeur et de tonales discrétions, d'accords parfaits tissant leur mélopée sous-jacente, lisons Gérard de Nerval ! (rassurez-vous, c’est un pseudo), cet immense poète force le respect par la simplesse apparente et le dénuement inconcevable de ses vers, sa prosodie est d’un éclat, d’une si humble pureté, qu’elle semble refuser toute technique !

Offrons-nous « Avril », puisqu’au moment où j'écris, son rayon m'entre par la fenêtre!



Avril


Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l'eau.



Je suis extrêmement admiratif ; la musique est parfaite, il n’y a pas un son plus haut que l’autre, le sens en prend une dimension dantesque !

Hélas, évidemment à la traîne, l’impréhensible, s’il travaille et recherche tous azimuts, et bien sûr dans ces directions qui ont indubitablement fait leurs preuves, est plus porté au funambulisme :



La fin


J’ai la faim, c’est la fièvre
Séraphins éphémères
Sous la pierre, assassins !

N’ai jamais aimé
Toujours ai menti
Amour j’aimantais

A Colombine
La nymphe aux limbes
Lymphe de l’âme

A Vénus
Où nue Eve
M’est venue

Au vent
Violent
Miaulant

Rouge
Sang
Noir

Ah !



Sans parler de ce texte, qui joue sur l’allitération plus que sur la rime, l’impréhensible, à contre-courant du classique, comptera pour acceptable, et le cas échéant, privilégiera les rimes vocaliques, normalement prohibées, entre les sons ouverts et les sons fermés :
o / au / ô / é / ai /, etc, mais en respectant la similitude finale, ainsi : « ivraie / livrée » (gamme rimbaldienne) nous restera agréable, et de même pour les rimes consonantiques comme : « des paons / dépends », et celles accolant, au delà d'une savante déformation, synérèse et diérèse, telles « dahir / eider » ou « grief / bief »

(à noter que « grief », qui représente la première syllabe du mot latin « gravis », grave, se devrait, par respect étymologique, prononcer en monosyllabe, ce qui, aux essais, s’avérera problématique ! - mais peut-être prononçait-on « gref »)

Dans un égal souci d’éclectisme esthétique, nous privilégierons les équivalences consonantiques jusqu'à l'intérieur du vers, et la rime, riche et diffractée, cherchera l’échappatoire :


A débattre : un lai torsadé,
Allitéré, dont le prix stagne ;
Vers faussé, ce petit tag me
Paraît valoir être bradé !


(Petits quatrains d'annonces)


Ainsi, nous élargirons le chant des possibles ; de multiples occurrences s'offriront à la Muse, et la musique gagnera en nuances ce qu’elle peut sembler y perdre de rigueur.

Répétons-le, ça n’est pas dans la façon que réside l'inspiration, mais la façon peut en aiguiser le fil, la parer, la servir ; l’art se peut, lui, en toutes circonstances :

« Je donnerais les vêpres magnifiques du Rêve, et leur or vierge, pour un quatrain,
destiné à une tombe ou à un bonbon, qui fût réussi »

…Seul Mallarmé est susceptible d’un pareil humour, dissous dans autant de flegme poétique !
(Vous avez, bien sûr, noté les allitérations emmêlées et savantes entre « vêpres / rêve / vierge » le son « i » qui traîne partout, et l’extraordinaire ellipse du sens soutenue par le génial rappel de son légèrement aberré, même pas une contre-assonance, « tombe / bonbon » (!!!)

Bien sûr, certains éléments de la chaîne logique du langage ne sont qu’un résultat de nous-mêmes, et vice-versa, tout n’est donc pas prévu ni calculé, plus à l’écrit qu’à l’oral, le discours, comme la musique, s’invente, pour partie, « à mesure », dans celle (de mesure) de ce qu’on a pu digérer de connaissances, d’intuition, de rouerie et d’azur...

Il n’est pas interdit, à l’écrit, de reprendre et de corriger, de peaufiner, de polir, ça dépend du rendu que l’on désire.

Ne croyez pas mon but de survoler l’ensemble des règles et systèmes prosodiques, ce qui nous ramènerait à une poésie scandée qui ne se pratique plus depuis mille ans – mais se peut encore apprendre – même si la nôtre en découle, directement.

Je voudrais juste rappeler que le tempo, c’est le battement du cœur qui le donne ; la musique, elle, est dehors…


Salut,
Salus.


P.S

Hésiode, 8ème siècle avant…



LES MUSES PARLENT :


- Nous disons beaucoup de mensonges
Tout pareils à la vérité…
Mais s’il nous plaît, la Vérité,
La vérité entière et pure,
Nous l’énonçons d’une voix sûre…



(Dans « LA THEOGONIE », vers 27 /28)
…Superbement traduit du grec archaïque par le « Jedi » (Marguerite Yourcenar)


Marcek
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Messages : 5106


Posté à 21h22 le 11 Nov 17

Salut


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 16h42 le 12 Nov 17


De mes rares lecteurs je lis parfois la joie ;
Les autres, m'enterrant, font que la Muse choie
Dans l’atterrant bourbier de la banalité
Où mon anonymie est vol d'adélidé...


Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 17h17 le 12 Nov 17

De ces rares lecteurs la joie,
Témoins vifs des allégories,
Susurrantes, ces émotions,
Fulgurance, en réaction,
Fruit de notre vive passion


Saintes
Membre
Messages : 1614


Posté à 07h31 le 14 Nov 17

Croulant sous cette avalanche de connaissances, s'en est pour moi nouvelle naissance.
Salut
N'ayant pas lu les Gloses, malgré la promesse que je m'en étais faite, je veux, par cette simple prose, rendre hommage à cette forte tête.


Aurorefloreale
Membre
Messages : 5964


Posté à 08h10 le 14 Nov 17

Fort attentive à ces secrets offerts je retiendrai pour toujours " Le tempo , c'est le cœur qui le donne "
Voilà qui rejoint l'idée profonde que je me fait d'une poésie faite de splendides harmoniques , grand merci Salus pour la somme de travail que tu nous offres et qui nous éloigne de commentaires qui n'ont plus rien à voir avec l'approche poétique malheureusement et qu'il nous faut subir ! Sachons garder la priorité à la poésie comme vous le faites !!!


Lili
Membre
Messages : 298


Posté à 11h55 le 14 Nov 17

Je lis en toute discrétion et humilité ton ouvrage monumental.
Il me faudra du temps pour assimiler.
C'est une chance de pouvoir bénéficier d'une telle érudition.
Respect Monsieur Salus


Lili
Membre
Messages : 298


Posté à 11h55 le 14 Nov 17

Je lis en toute discrétion et humilité ton ouvrage monumental.
Il me faudra du temps pour assimiler.
C'est une chance de pouvoir bénéficier d'une telle érudition.
Respect Monsieur Salus


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 20h59 le 14 Nov 17


MERCI :

- A la très présente Aurore.
- A Saintes, pugnace...
- A Lili, qui en bégaie !


Lili
Membre
Messages : 298


Posté à 11h37 le 15 Nov 17

Une fois suffit en effet
je je suis conconfus..de cette répétition indépendante de ma volnté


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 12h39 le 15 Nov 17


Ça m'a fait pouffer !
Faut pas t'étouffer !
J'voulais pas cafter...
'Fallait pas moufter !


Ericd
Membre
Messages : 28


Posté à 17h37 le 30 Jan 18

Très savant.
Cela nous permet d'appréhender plus familièrement la poétique salusienne.

ps J'ai, comme toi, une tendresse particulière pour T. Derème, si injustement oublié...


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 22h19 le 30 Jan 18


Ton intérêt me touche et, vrai, je l'apprécie !
- Derème était un ange (Orphée est le Messie) !

Salucéenne versification,
L'impréhensible aspire à la vision !


Marcek
Membre
Messages : 5106


Posté à 22h24 le 30 Jan 18

Vous me donnez, messieurs, envie
De relire Derème
Je n'aurai pas assez de vie

Il est trop de poèmes !


Salus
Membre
Messages : 6900


Posté à 22h34 le 30 Jan 18


La vie est un poème trop court ;
Et le Destin, qui nous bat les brèmes,
Cache Derème au cerveau trop gourd !
(Mais si tu l'as déjà lu, tu l'aimes ?)

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