Salus
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Posté à 13h02 le 09 Nov 17
PPPF N° 3
Troisième épisode des
« Petits Précis de Poétique Formelle »
(Rubrique à périodicité vague, pleine d’idées et d'extravagances morphologiques)
- Résumé :
Le magistère opaque, en son instance épique,
Étarquait comme un foc l’âpre obédience éthique,
Et dans l’air qui serait plus qu’un sublime gaz,
Griffait le sylphe avec le reflet de ses strass.
Vous y êtes ? - Embrayons !
L’impréhensible prône la rime savamment approximative dans un flux émotionnel le plus pur et le moins visible possible (sauf quand c’est justement l’inverse).
- La poésie réfute la facilité, même et surtout quand elle en a toute l’apparence
(voir Paul Fort, par exemple)
- La part majeure sera donnée à l’inconscient, sans tomber dans la chausse-trape d’une
soi-disant « écriture automatique »
- Comprendre un poème n’est pas une nécessité absolue, pour l’aimer ; mais tout poème, hors fatrasie (où justement, c’est le contraire !), devra être, hypothétiquement et techniquement, compréhensible, le langage ne gagnant pas à se passer de sens (ainsi, nous tiendrons la fatrasie pour une jolie petite impasse) ; à l’inverse, et c’est extrêmement difficile à faire, une langue pleine de sens peut se passer de musique intrinsèque, et ne garder que la force de l’idée, la pureté d’un concept, l’âcreté d’une émotion ; René Char, qui savait le génie aride du vide, et qui, s’il l’utilisait rarement de manière classique, maîtrisait parfaitement la versification, s’est adonné, presque voué, à l’exercice, et nous a rendu des pages parmi les plus belles de toute l’histoire de la poésie, acérées,
vertigineuses de nudité, et d’une déchirante et violente vérité…
…Et, bien contre son gré, le pauvre, il a entraîné dans son sillage d’espadon solitaire tout un banc d’alevins bruyants et braillards, d’une affligeante modernité, qui ont partout essaimé, couinant que la poésie ne devait plus rimer et qu’on pouvait se contenter, sans
rien apprendre ni comprendre, d’écrire n’importe quoi en se haussant du col, si l’autre ne voit pas le génie, c’est que l'autre est nul !
(Se reporter au texte péremptoire autant que prémonitoire de l’impeccable parnassien
Leconte de Lisle « Aux modernes »)
- L’exception étant l’indubitable marque des sages et des monstres, l’impréhensible tentera d’autant plus de gagner en maîtrise classique qu’il en sabotera sournoisement le vernis, instillera le vers dans le fruit, coincera la césure entre chair et ongle, etc !
- La structure cristalline du système sera soigneusement préservée, étant considérée comme une réussite en perpétuel devenir, un prodige de subtilité et d’intelligence dynamique.
- Ce n’est pas parce que « on n'y comprend rien » que ça ne veut rien dire !
Il en découle, pour en revenir au début de l’exposé, que les « rimes idéales » ne seront point celles que nous donnent les manuels en citant immanquablement le très ennuyeux La Fontaine, dont on reconnaîtra à regret les qualités grammaticales, la technique et le prestige, mais bien plutôt celles-ci, qui se doivent évidemment exceptionnelles :
astringente / intelligence ! (La plus belle des trois !)
Ou encore : attendre / septembre !
Voire une vraie rime au timbre inversé : ça plisse / Sulpice ! (Sévère, cinquième siécle)
Cette forme de consonance, où le rappel décalé de la note, comme le son « in » dans le
premier exemple, contrebalance l’absence d’homogénéité du son final,
la presque similarité des phonèmes (tendre / ptembre), dans le second,
ou l’inversion d’une demi-syllabe dans le troisième (pli / lpi),
rajoute, sans dépareiller, à la richesse et à la variété de la rime ; le petit gouzi-gouzi qui nous chatouille le cerveau à leur lecture est censé être un plaisir…Mais des esprits chagrins et pisse-froid vous soutiendront le contraire !
- D’une façon générale, on respectera scrupuleusement la coïncidence des lettres finales, ou de leurs équivalences judicieusement autorisées, ainsi que, mais de manière moins rigoureuse, les consonnes d’appui – ou leurs équivalences - consonnes dont nous étendrons l'emploi jusques aux rimes en ''té'' et ''dé'', justifié d'un certain parallélisme :
''gare aux dès / garrottés'', par exemple, et, toujours dans le souci prudent d'une promotion des occurrences, on rajoutera le ''m'' et le ''n'' en appui, sous couvert d'un anagrammatique jeu musical (Aminé / Animé) ou d'une importante similitude (Sa douce
haleine / Tout ça l'aime), plus, s'ils n'y sont déjà, le y et le i en finale (Lorelei / trolley), tout
en s'autorisant derechef les délices de rimes truquées comme :
''Conférencier / Confiance hier'' ou ''Mastaba" avec ''Mais, basta !'' par exemple.
Dans le même ordre d’idée, quoique d’une fréquence beaucoup plus rare – on peut dire :
rarissime ; nous mènerons toujours la quête ingrate et désolée, la recherche quasi-stérile du « hiatus justifié » véritable trèfle à quatre feuilles littéraire, il ne m’en est pas échu trois
sur plus de 1000 poèmes !
(sis au dernier épisode - nous parlons de versification - le hiatus (ou l’hiatus) : « Qu’un semblant littéraire oint », en octosyllabe, sera plutôt vu comme se glissant au « défaut de l'armure » de l' élision, perle également introuvable, mais d’une nature légèrement
différente) ; Donc, exemple tiré de « Antique », que vous ne devez pas encore connaître, si je ne me trompe :
A Ephèse où l’on baise
Le grand pied d’Artémis
A Ephèse où l’on baise
Sous les blancs tamaris
Aérienne et carmine
Comme guêpe aux agapes
La vestale achemine
Ses rondeurs et ses grappes
(……..)
(Vous noterez le côté cryptonyme de la vraie fausse rime "Artémis / tamaris", ainsi que la nuance de sens qui atténue la répétition – proscrite à la rime – du doux mot "baise")
Le hiatus « A Ephèse », répété, trouve sa légitimité dans le premier mot du quatrain
suivant : « Aérienne », c’est le rappel sonore, à la base de toute musique, qui le justifie, voire l’impulse rétrospectivement ; attention, il ne s’agit pas de chercher, tel un chien truffier, lesquels mots pourraient bien, ensemble, contrarier la règle !
Non, il est question de créer, dans l’inconscient – ou le conscient - du lecteur, un effet « d’étrange réalité » comparable aux touches de pinceau des impressionnistes ; on comprend ou on ne comprend pas, mais ça doit marcher ! - De la musique, vous dis-je! -
De plus, et de même que le classicisme admet logiquement le « e » muet dans certaines expressions « toutes faites » (à tue-tête, en queue de poisson, un pue-la-sueur...) nous accepterons le hiatus dans « à tu et à toi, peu ou prou, alea jacta est, etc. »
Dans une veine parente et malgré l'incompréhensible laxisme de la versification, nous censurerons quant à nous les mariages malvenus des mots finissant par les sons in, an, on, un, et leurs nuances dues au « m », avec une suite débutant par une voyelle, et ne
produisant pas une liaison naturelle (nous y reviendrons) : « Un âne » oui ! (un nane)
« un bourdon inconnu » non ! (un bourdon ninconnu) Ces liaisons seront acceptées, sans
les faire, dans les expressions « valises » qu'on considérera, nous venons de le voir,
comme des mots composés à part entière, ainsi, nous pourrons écrire : « entre chien et loup » par exemple et sans frémir !
Où l'on devine, dans la culture, l'importance hélas trop temporelle de l'us...
Cependant et sans vergogne, nous profiterons de toutes les occurrences qu'il nous offre, l'usage, quant aux mots trop incongrus à liaisonner : plomb, blanc, gland, etc.
N'oublions pas que la poésie s'écoute, se regarde, se ressent, s'entrevoit, se chante...
Et que la littérature se doit une forme supérieure du langage !
On peut aussi attaquer de front :
Hiatus
( létal !)
Voué à Éole,
Alloué aux ailes
Des zéphyrs élus,
Azurés ;
Le rêve bref de brèves Eves
Imaginaires
Est le trou d’air de cette ivresse
Où Dieu s’éthère
On finit là dessus ?
Prochain épisode :
"Le retour de l’anaphore dans les procédés oscillatoires de sinuosités ricochant"
Chouette, c'est la récré !
Merci,
Salus.
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